"Comment le régime militaire algérien tente de survivre" critique rédigée par Soufiane Laaroussi

Dr. Dalia Ghanem, chercheuse sur l'Algérie qui a été analyste senior au Carnegie Middle East Center à Beyrouth pendant près de dix ans, avant de rejoindre le think tank de l'Union européenne, l'Institut d'études de sécurité de l'Union européenne (EUISS) où elle gère le portefeuille MENA publié en septembre aux éditions Palgrave Macmillan, « Comprendre la persistance de l'autoritarisme concurrentiel en Algérie ».
Ce livre révèle les secrets de la survie du régime algérien et les piliers de sa longévité. Le livre explique comment la consolidation autoritaire s'est opérée et pourquoi elle risque de se poursuivre malgré le départ de Bouteflika et l'émergence d'un nouvel acteur : le mouvement populaire, le Hirak. L'auteur met en lumière les piliers de la pérennité du régime algérien qui a démontré une extraordinaire capacité à se pérenniser à travers une panoplie de mécanismes. Ghanem identifie l'autoritarisme algérien comme un type distinctement compétitif et adaptable, qui a mieux permis au régime de persister face à toutes sortes de changements.
Le livre analyse la situation en Algérie et la persistance du régime loin des prémisses d'une tendance à la démocratisation. Ses travaux contribuent également à un champ d'étude plus large concernant « l'autoritarisme concurrentiel », les régimes qui font face à des résistances nationales, la question de savoir quoi et comment oblige ces régimes à changer, la nature de leurs institutions politiques, etc.
"Ce livre dissèque de manière impressionnante comment le régime a utilisé la concurrence au sein de l'autoritarisme pour contrecarrer la société civile et le Hirak", analyse Isabelle Werenfels, chercheuse principale et experte du Maghreb, Stiftung Wissenschaft und Politik, Berlin, Allemagne. « A utiliser absolument par les politologues, les historiens et tous ceux qui s'intéressent au puzzle algérien ! ajoute Bertrand Badie, professeur émérite des universités à Sciences Po Paris, France.
Pas de tendance à la démocratisation
La nature et le cours de l'histoire algérienne de 1962 à 1989 sont peu contestés parmi les universitaires algériens. De nombreux experts algériens affirment que les événements survenus en 1989, notamment la promulgation d'une nouvelle constitution, ont carrément mis le pays sur la voie de la démocratie. Comme le montre ce livre, cependant, la transition de l'Algérie en 1989 d'un régime de parti unique à un système multipartite n'a pas conduit à la démocratie. Ghanem soutient que le régime algérien est passé de l'autoritarisme pur et simple qui le caractérise depuis l'indépendance en 1962 à ce que l'on appelle « l'autoritarisme compétitif ». Ce livre, qui est basé sur une recherche de première ligne qui comprend des entretiens avec des membres de l'armée, de la police, du secteur des affaires, des politiciens, des organisations de la société civile et des citoyens ordinaires entre 2016 et 2021, prend le système politique du pays tel qu'il est. Il n'y a pas de tendance à la démocratisation. En fait, l'Algérie d'aujourd'hui est plus une continuation de son itération d'avant 1989 qu'une sorte de précurseur de la démocratie. Ce livre identifie cinq piliers soutenant le régime algérien, sans lesquels il se serait effondré depuis longtemps. Le premier pilier est le véritable lieu du pouvoir : l'armée. La seconde est la cooptation de l'opposition. Le troisième est la fragmentation de la société civile. Le quatrième est la répartition des rentes, le clientélisme et la corruption. Le cinquième pilier est la répression.
L'armée : le véritable courtier du pouvoir en Algérie
Ghanem analyse le rôle de l'Armée nationale populaire (ANP) en tant que principal détenteur du pouvoir politique, exerçant une influence significative sur la scène politique. L'armée s'identifie à la nation, ce qui signifie qu'il est inconcevable que des hommes en uniforme soient confinés au secteur de la sécurité et coupés de la politique. L'armée décide, et le gouvernement, sa façade civile, met en œuvre. Ce chapitre explique les raisons de l'hégémonie militaire et son rôle à travers chaque crise politique. Ce chapitre analyse les relations civilo-militaires en Algérie et le rôle prédominant des militaires en politique, y compris lors de la crise politique de 2019 lorsque les militaires ont sacrifié le président Bouteflika et piloté la succession.
Hyperpluralisme et cooptation : les secrets de la transformation de l'opposition en pilier du régime
En 1989, le régime algérien a mis fin au système politique à parti unique en place depuis l'indépendance. Ce mouvement a permis l'émergence d'une opposition politique et d'une compétition entre les partis. Pourtant, cette démocratisation s'est avérée largement superficielle. Aujourd'hui, le régime algérien se caractérise par ce qu'on appelle indifféremment « l'autoritarisme électoraliste » (Schedler, 2006) et « l'autoritarisme concurrentiel » (Levitsky, S, Way, L. 2002). C'est un régime hybride, qui mélange des éléments de démocratie et d'autoritarisme. L'introduction du pluralisme a remplacé une façade monolithique par une façade pluraliste, mais cela n'a pas conduit à un changement significatif dans la forme de gouvernement (Roberts, 1999 : 386). Plutôt que de représenter des segments spécifiques de la société, plusieurs partis algériens s'adressent à différentes factions de l'État, qui conservent le contrôle de leurs activités. Les élections, plutôt que de servir de forum à la compétition politique, sont considérées par le régime comme un moyen de se légitimer et de se relégitimer, un alibi démocratique qui s'avère utile lorsqu'il est accusé d'autoritarisme. Le régime considère les partis politiques qui lui sont ostensiblement opposés non pas comme des rivaux, mais plutôt comme des partenaires potentiels qu'il pourrait contraindre à présenter l'Algérie au monde comme une démocratie. Dans ce contexte, les résultats des élections reflètent les batailles qui se déroulent au sein de l'État, plus que dans la sphère publique (Addi, 2002).
Diviser pour régner : l'atomisation de la société civile
Le livre analyse le troisième pilier du régime : la fragmentation de la société civile. Le chapitre explore les tactiques et stratégies du régime algérien (cooptation, coercition, légalisme, clonage et recherche de boucs émissaires) pour fragmenter le secteur de la société civile, contrôler ses activités et maintenir son activisme à un niveau bas. De plus, le manque de ressources financières et matérielles, la dépendance aux fonds publics, l'accès limité aux fonds internationaux et le manque de réseautage au niveau national et régional ont fragilisé l'autonomie des OSC en Algérie. Ils sont donc vulnérables aux tactiques du gouvernement et donc incapables de contester ses politiques et ses actions.
Un clientélisme économique
Un pilier clé de la longévité apparente du régime est son utilisation de la distribution des pensions. La rente pétrolière est restée l'outil du régime pour acheter la paix sociale et perpétuer les allégeances politiques. Un processus de libéralisation sélective contrôlée a été mis en place par le régime pour garantir les privilèges des titulaires et améliorer les opportunités économiques pour leurs clients et partisans, le régime s'appuyant fortement sur le favoritisme et le clientélisme. Cette dernière est le carburant du système, c'est le clientélisme, dont la corruption est un mécanisme central. Ce chapitre examine comment le système survit à travers la corruption en obtenant des gains importants et stratégiques, comme payer les exclus du système pour les empêcher de s'exprimer. Cela renforce la vulnérabilité et la dépendance des acteurs vis-à-vis du centre, fragmente et domestique l'élite stratégique, coupe le leadership des masses et finit par discréditer les opposants aux yeux du peuple.
Un régime de violence et de répression
Ghanem analyse les mesures coercitives du régime algérien qui utilisent la répression pour se maintenir. L'ampleur de la répression en Algérie est élevée car l'État dispose d'un secteur de la sécurité intérieure important et efficace. Cette dernière est dotée de réseaux de renseignement étendus, d'unités policières et paramilitaires spécialisées capables d'engager la société sur l'ensemble du territoire national. Les forces de sécurité sont bien financées et bien équipées. Depuis la fin de la guerre civile en 2002, ils ont démontré leur capacité à réprimer les manifestations dans toutes les régions du pays, à contrôler l'opposition et à pénétrer la société. De plus, aujourd'hui, le régime algérien adopte la technologie pour moderniser l'autoritarisme pour l'ère moderne. Ce dernier pilier est crucial car si les réseaux clientélistes pouvaient être réduits du fait de la crise économique, le dernier pilier servirait à maintenir le contrôle, à pérenniser le système et à sauver le régime.
Un avenir sombre pour l'Algérie
En conclusion, Ghamem donne quelques perspectives pour l'avenir de l'Algérie. L'évolution vers plus d'autoritarisme des régimes hybrides suite à la succession d'un dirigeant par un autre n'est pas toujours prédéterminée. Un régime hybride sous une nouvelle direction peut aller dans les deux sens. Elle peut tenter de se réconcilier avec l'opposition, ou à tout le moins s'orienter vers des politiques plus consensuelles, pour retrouver une partie de sa légitimité perdue et réduire les conflits. Cependant, dans le cas de l'Algérie, la tendance vers plus d'autoritarisme est claire. Quatre facteurs sont à l'origine de l'évolution vers un plus grand autoritarisme dans l'Algérie post-Bouteflika : de solides institutions étatiques pro-autocratiques, en particulier l'armée et le système judiciaire ; l'augmentation du factionnalisme au sein d'une opposition atomisée, y compris les organisations de la société civile ; capacité réduite du régime à acheter la paix sociale en raison d'une situation budgétaire difficile ; et l'incapacité accrue du régime à rester socialement et politiquement pertinent.