Explorant les relations entre l'Afrique et la France, Kamal Benali se penche sur cette connexion aux multiples facettes. S'appuyant sur son expertise en géopolitique, il examine attentivement les enjeux politiques, économiques, et les aspects culturels qui ont façonné ce lien bilatéral. Fort de ses expériences et de son vaste réseau de relations avec les dirigeants, il fournit une analyse perspicace des défis et des possibilités qui s’offrent à ces deux entités. Ce faisant, il offre une perspective sur la façon dont leur engagement évolue dans un paysage mondial en évolution rapide.
Article rédigé par Kamal Benali
L'avenir de la France en Afrique se joue aujourd'hui sur fond de lutte contre le terrorisme, d'intérêts économiques bien compris de l'ancienne puissance coloniale, de résurgence du nationalisme africain et d'influences étrangères, notamment la Russie via son bras armé et économique sur le continent. , Wagner.
La légitimité de la France dans la lutte contre l'influence des islamistes radicaux et des terroristes au Sahel est incontestable, même s'il s'agit aussi, et du même coup, de soutenir les intérêts économiques et géopolitiques de la France, intérêts récemment mis à mal au Niger suite au coup d'État. 'état qui a renversé le président dûment élu Mohammed Bazoum.
Certains pays d'Afrique francophone, comme le Mali et le Burkina Faso, estiment, à tort ou à raison, que leur souveraineté est restée trop longtemps sous tutelle française et que le moment est désormais venu pour eux d'assumer pleinement leur destin, au mépris des volontés de la France. , c'est-à-dire ses intérêts. Si l'on peut parfois douter de l'authenticité de ce nationalisme chez les nouveaux dirigeants de ces deux pays, connus pour être prêts à échanger une tutelle passée contre une autre (par exemple la Russie), nous ne remettons pas en question la réalité de l'émergence d'un pouvoir fort. sentiment national. C'est un mélange de fierté de ce qu'ils sont et de rejet de ce que la France a représenté pour la jeunesse active de ces nations.
La bataille diplomatique est intense aujourd’hui. D'une part, plusieurs CEDEAO Les pays ne reconnaissent pas les nouveaux dirigeants du Niger, alors que la France intervient dans cet épineux dossier. En revanche, le régime militaire actuellement au pouvoir au Niger bénéficie du soutien d’une grande partie de la population. Cette dernière, spontanément ou à la suite d'une habile manipulation, est exaspérée par ce qu'elle perçoit comme une domination française.
Conséquences de l’intervention extérieure en Afrique de l’Ouest
Assiste-t-on à une répétition de ce qui s'est déjà produit au Mali et au Burkina Faso, où dirigeants et populations semblent s'être mis d'accord pour mettre fin à l'influence, voire à la présence de la France, sans que personne ne doute sérieusement du rôle de Wagner dans ces opérations ? Cette position n’a en réalité qu’un seul objectif : exploiter les ressources naturelles de ces pays au nom de la Russie et certainement pas les mettre au service de leur développement et de leurs populations.
La présence de la France Afrique de l'Ouest, et plus particulièrement au Niger, fait l’objet d’une vive contestation. La France doit s'adapter à cette nouvelle réalité africaine pour des raisons économiques et géopolitiques. Cette adaptation est cruciale non seulement pour contrer l’expansionnisme russe mais aussi pour sauvegarder ses intérêts, qui ne sont pas tous illégitimes.
L’histoire politique récente des pays d’Afrique de l’Ouest a été une succession de revers pour la France.
La pauvreté chronique, les inégalités de revenus substantielles entre la classe dirigeante et la population et les jeunes désoeuvrés sans avenir, trop souvent contraints par la nécessité d'émigrer vers l'Europe, rendent encore plus difficile une situation déjà délicate pour des raisons sécuritaires, politiques et économiques. La stabilité des États d’Afrique de l’Ouest est ainsi compromise, le vif sentiment anti-français servant autant de catalyseur que de prétexte à des opérations de déstabilisation en série.
De l’intervention en Libye à la crise au Mali
En 2013, le président par intérim du Mali, Dioncounda Traoré, a appelé la France du président François Hollande à empêcher que Bamako ne soit prise par des groupes terroristes lourdement armés venus de Libye et du nord du Mali.
Le 11 janvier 2013, François Hollande lance l'opération Serval pour repousser ces groupes terroristes de Bamako, la capitale du Mali. Mais il ne s'agissait là que d'un repli tactique pour ces groupes puisque, retranchés au nord du Mali, les terroristes avaient réussi à constituer un État terroriste à Kidal, c'est-à-dire à s'implanter sur un territoire.
En réalité, la création de ces groupes armés découle des bombardements de la Libye orchestrés par l'OTAN à la demande de la Grande-Bretagne et de la France, conduisant à l'effondrement du régime de M. Kadhafi. Cette intervention, justifiée au nom des droits de l'homme par l'Occident, a levé les barrières qui freinaient l'immigration subsaharienne. Les conséquences sur les droits de l’homme pourraient s’avérer pires que les problèmes que l’on espérait résoudre en éliminant le dirigeant libyen. Par ailleurs, le trafic d'armes modernes et sophistiquées s'est organisé. Ces armes ont été récupérées par des jihadistes, dont Al-Qaïda, le Maghreb islamique (AQMI) et Arsadine, ainsi que par les rebelles touaregs du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), qui dominent le nord du Mali. . L’objectif commun de ces mouvements est de déstabiliser les pays frontaliers de la Libye et, si possible, d’en prendre le contrôle.
Le 18 août 2020, le président démocratiquement élu du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, a été renversé par un groupe de colonels dirigé par Assimi Goïta. Ces militaires n'ont pas tardé à critiquer, avec un parti pris particulier, le manque d'efficacité de la force française Barkhane, qu'ils jugent incapable d'éradiquer le terrorisme dans le nord du Mali. Ces critiques ont poussé le régime à appeler au retrait des troupes françaises et de la MINUSMA quelques mois après son arrivée au pouvoir. Malgré plus de dix ans d'opérations, ces forces sont accusées d'être coûteuses pour le Mali et inefficaces contre les terroristes et les zones qu'ils contrôlent.
Après le Mali, le Burkina Faso, la Guinée Conakry et maintenant le Niger, quid du pacte de décolonisation ?
La détérioration des conditions économiques est souvent propice à l’émergence de pouvoirs non démocratiques, dont les actions finissent toujours mal pour ceux qui pensaient que des régimes autoritaires, voire dictatoriaux, seraient plus efficaces que d’autres respectueux des libertés civiles. Nous en avons été témoins en Europe entre les deux Grandes Guerres et en Amérique latine tout au long du siècle dernier. Cependant, avant de projeter ce modèle ailleurs, nous devons analyser les conditions et traditions historiques, politiques et culturelles des pays concernés, en particulier en Afrique.
L'influence croissante de la Russie en Afrique
Il est important de comprendre que la conscience collective des populations africaines a évolué grâce à l'observation des événements mondiaux auxquels elles ont accès, tout comme la plupart des autres peuples.
Scruter l'horizon, lire les signes des temps et comprendre les enjeux économiques du monde d'aujourd'hui sont désormais à la portée des citoyens. Cependant, cette compréhension doit être améliorée, d’une part, par des manipulations des masses populaires orchestrées par un groupe d’intérêts travaillant pour la Russie. D’un autre côté, elle est biaisée soit par la naïveté, soit par les intérêts personnels des nouveaux dirigeants, souvent militaires. Certains d’entre eux ont jugé bon, voire judicieux, de solliciter l’aide du groupe armé Wagner pour diriger leur pays.
Il n’est pas dans l’intérêt des peuples ni du continent d’accueillir dans cette région, déjà vulnérable pour les raisons évoquées ci-dessus, un partenaire aux intentions douteuses. Sur le plan économique, l’objectif est de spolier les pays concernés. Géopolitiquement, l'objectif semble être de déstabiliser le continent européen, notamment en encourageant une immigration de masse.
Mais il est peu probable que l’Afrique profite d’une telle déstabilisation si le pillage des pays par Wagner est effectivement probable.
Le Mali en est un bon exemple. Au nom du principe incontestable selon lequel les peuples sont partout libres de décider de leur destin, le coup d'État du 18 mai 2021 au Mali a vu M. Assimi Goita accéder au pouvoir comme Président de la Transition. Quelques mois seulement après son entrée en fonction, il décide de faire appel à la milice privée russe Wagner pour reconquérir intégralement les territoires sous contrôle jihadiste. On sait que cette reconquête est au point mort, que les massacres ont été perpétrés par les milices évoquées plus haut, dont le mode opératoire est bien connu, et que l'économie du pays est progressivement livrée au groupe Wagner et donc à la Russie.
Que peuvent faire la France et ses alliés face à cette situation ? Stratégiquement, leurs options sont limitées. Ils dénoncent principalement l'implication et l'association du gouvernement russe avec le groupe Wagner. Jean-Yves Le Drian, ancien patron du Quai d'Orsay, a ouvertement critiqué cette alliance. Il a souligné que la France ne soutiendrait jamais des politiques trop favorables à la Russie, étant donné qu'il n'y a aucune justification valable à la présence de la Russie en Afrique autre que sa tentative de déstabiliser l'Europe par des guerres hybrides.
Sur le front Mali-Burkina Faso, la France a été aux avant-postes des affrontements entre groupes terroristes et forces nationales des deux pays. De violentes attaques contre l'armée nationale burkinabè et les opérations minières, pilier économique du Burkina Faso, ont conduit la population à exprimer son mécontentement face à un convoi français, exigeant finalement le retrait de ces troupes. Cette situation a ouvert une porte d’opportunité pour la Russie, désireuse de s’impliquer davantage dans cette région aux implications économiques et géostratégiques de grande envergure.
En conséquence, la constitution a été suspendue le 24 janvier 2022 et le gouvernement et l’Assemblée nationale dissous, le régime promettant un « retour à l’ordre constitutionnel » dans « un délai raisonnable ». Ces circonstances ont conduit à la chute du gouvernement du président Roch Marc Kaboré, au pouvoir depuis 2015. Il a été renversé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, entouré d'autres militaires, qui ont créé le « Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration » (MPSR), actuellement au pouvoir.
La valse se poursuit huit mois plus tard, avec cette fois l'arrivée sur les lieux du capitaine Ibrahima Traoré, qui met fin au pouvoir éphémère du lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, jugé trop frileux et trop proche de la France en raison de ses relations étroites avec le Président Alassane drame OUATTARA de Côte d'Ivoire.
A cette occasion, une foule nombreuse et ravie, composée principalement de jeunes se revendiquant patriotes, d'activistes panafricains et de militants, a attaqué l'ambassade de France. Ils menacèrent également les intérêts français dans tout le pays. Leur colère était palpable dans les rues de Ouagadougou : ils brandissaient des drapeaux russes et exigeaient le retrait immédiat des quelque 400 soldats des forces spéciales françaises stationnés au Burkina Faso.
Si la France condamne ces actes, la Russie y voit une opportunité. Il a rapidement déclaré sa volonté de soutenir le nouveau régime militaire dans sa lutte contre le terrorisme.
Une approche plus prudente à l’égard du régime nigérien aurait été plus profitable à la France dans le contexte actuel volatile de sentiment anti-français, auquel s’ajoute l’incapacité, voire l’incohérence, des pays de la CEDEAO minés par des agendas cachés les uns contre les autres. Cette situation n'a fait que renforcer la position du régime au pouvoir à Niamey malgré la position ferme de la ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna.
Mais en vain, le régime a tenu bon et Bazoum était toujours détenu.
Remettre en question les liens coloniaux et la montée de la Russie
Depuis septembre 2022, face à un conflit diplomatique entre la France et son ancienne colonie, le Burkina Faso, Ouagadougou et Moscou se sont considérablement rapprochés. Face au scepticisme de la communauté internationale, la ministre burkinabé des Affaires étrangères, Olivia Rouamba, a rassuré avec arrogance que « la Russie est un partenaire fiable ».
Plusieurs responsables burkinabè, dont le Premier ministre Apollinaire de Tambéla et le président du Parlement de transition, Dr Ousmane Bougouma, se sont récemment rendus à Moscou….
En effet, selon la philosophie vindicative de ces régimes militaires (Mali, Burkina, Guinée Conakry et Niger), arrivés au pouvoir par un coup d'État, la révision des traités et des accords ultérieurs est devenue un impératif important et une question fondamentale. de la souveraineté nationale.
Les deux chefs d'État putschistes du Mali, M. Assimie GOITA et le capitaine Traoré du Burkina Faso, ont officiellement et définitivement rompu tous les accords de coopération avec l'ancienne puissance coloniale. Cela a été fait lors du sommet Russie-Afrique des 22 et 23 juillet 2023 à Saint-Pétersbourg, en Russie. Quel symbole !
Le 26 juillet 2023, coup de théâtre au Niger, le général Abdourahmane Tchani, ancien chef de la garde présidentielle pendant 13 ans, renverse et kidnappe le président Mohamed Bazoum, démocratiquement élu depuis deux ans, et devient président du gouvernement. régime militaire au pouvoir.
La France a condamné ce dernier coup d'État et a appelé à la libération immédiate du président Bazoum. Dans le même temps, la CEDEAO a menacé le régime de sanctions allant de la fermeture des frontières à l'arrêt des transactions financières et économiques entre les pays membres et le Niger.
Quelques jours plus tard, des manifestants pro-Putsch ont attaqué l'ambassade de France à Niamey, obligeant la France à évacuer ses ressortissants, qui ont été rapidement rapatriés sur le territoire français.
Quant aux Russes, dont le drapeau a été brandi à plusieurs reprises lors des manifestations populaires, ils ont malicieusement appelé à « la retenue et la libération du président Mohamed BAZOUM et de ses ministres ».
Parmi les forces présentes au Niger, la France dispose d'un contingent de 1,500 1,100 militaires. En revanche, les États-Unis en comptent environ XNUMX XNUMX sur leur base logistique, équipés d’équipements sophistiqués et de drones pour surveiller, semble-t-il, les terroristes au Sahel.
La France paie-t-elle son soutien au président déchu, Mohamed Bazoum?
Certains observateurs africains estiment que la France aurait mieux fait d’investir dans la lutte contre le terrorisme dans ses anciennes colonies, aujourd’hui indépendantes, que de financer une guerre dans l’impasse à 3 milliards d’euros entre la Russie et l’Ukraine. La France reste le premier partenaire stratégique du Niger, auprès duquel elle obtient 34 % (ndlr : ce chiffre ne semble pas exact – 6 % est, je crois, le bon chiffre) de l'uranium utilisé pour faire fonctionner ses centrales nucléaires françaises.
Toutes ces décisions fébriles n'ont pas manqué d'affecter les mesures fermes prises par la CEDEAO le 10 août, qui, compte tenu des dispositions des accords régionaux, auraient pu contribuer à activer la force militaire pour rétablir l'ordre constitutionnel au Niger.
De plus, les pays limitrophes du Niger, comme l'Algérie, le Tchad et, dans le cas de certains de ses élus, le Nigeria, sont opposés à l'intervention militaire, solution ultime prônée par les dirigeants de la CEDEAO, ou du moins par les quelques membres de la CEDEAO. des pays qui veulent encore épargner la France et l’Union européenne.
Face à cette situation complexe, les régimes issus des coups d'État militaires (Mali, Burkina Faso, Guinée Conakry et Niger) ont formé un bloc et menacent d'embraser toute la sous-région en cas d'attaque de l'un d'entre eux. pays dirigés par un régime militaire.
La France s’est-elle empêtrée en Afrique à la manière américaine ?
Les intérêts nationaux dictent généralement la politique étrangère. La France a été surprise par une intervention américaine au Niger pendant la crise. Les États-Unis envoient rapidement un nouvel ambassadeur à Niamey, au détriment des intérêts français.
Le samedi 19 août 2023, Kathleen FitzGibbon est devenue ambassadrice des États-Unis au Niger, comme annoncé dans un communiqué officiel du Département d'État américain. Selon le document, sur instructions du secrétaire d'État Antony J. Blinken, FitzGibbon a été chargé de superviser la mission diplomatique américaine au Niger et d'aider à gérer la crise politique actuelle. Forte d’une solide expérience en Afrique de l’Ouest, elle est considérée comme idéale pour ce rôle. Elle n'a pas encore présenté ses lettres de créance en raison de la situation délicate. Elle plaidera pour le maintien de l'ordre constitutionnel au Niger et la libération du président Bazoum et des autres détenus. La détermination des États-Unis à travailler avec des partenaires africains, comme la CEDEAO, pour garantir la sécurité et la démocratie dans la région reste inébranlable.
Cette nomination est une véritable gifle pour la France. L'Union africaine semble également réticente à l'intervention française. Tout en condamnant le coup d'État, elle s'oppose à la présence de forces étrangères sur le continent.
L’analyse de la situation française en Afrique montre un antagonisme accru à l’égard de la France. Tout cela profite à la Russie et à la Chine, qui reconnaissent la richesse stratégique de l’Afrique. L’ère de la Françafrique est révolue, marquant un tournant dans les relations franco-africaines. Un signe clair de ce changement est la lettre ouverte signée par 94 parlementaires adressée à Macron, soulignant l’évolution des influences : Russafrique militairement, Chinafrique économiquement et Américafrique diplomatiquement.
La France doit réagir. Cela commence par une compréhension fondamentale de l’Afrique et la nomination de représentants capables de parler au nom de la France et d’établir une relation de confiance avec les dirigeants africains. Il faut une stratégie africaine claire et durable, appuyée par des partenariats solides comme celui avec le Maroc, dont la diplomatie est réputée. Il est crucial de reconnaître les motivations des acteurs étrangers comme la Russie, dont les intentions ne visent pas nécessairement le bien-être des peuples africains.