Mesdames et Messieurs,
Tout d'abord, je tiens à vous faire part de mon plaisir et de mon honneur d'être avec vous ce soir.
Avant de développer mon propos, en français, j'aimerais vous confier un secret. Chaque fois que je parle dans la langue de Molière, mes garçons me disent « Maman, ton accent est horrible… ».
Alors, comme le disait Churchill sur la place Kléber à Strasbourg en 1950, laissez-moi vous prévenir : "Attention, je parlerai en français".
Mais rassurez-vous, la beauté de ce lieu, l'histoire de la Sorbonne ne m'ont pas affecté au point que je puisse prétendre être cet homme d'État britannique et européen.
Nous différons sur plusieurs points…
Cependant, comme en 1950, nous sommes à la croisée des chemins et, contrairement à ce qui s’est passé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, où prévalait l’espoir d’un avenir meilleur, nous sommes confrontés à de multiples périls.
C'est pourquoi je suis honoré de pouvoir partager ces mots ici, avec vous.
Et avant de développer ma réflexion, permettez-moi de remercier la Sorbonne de m'avoir accueilli.
Et merci au magazine Grand Continent, qui a proposé d'organiser cet événement.
Mesdames et Messieurs,
Je suis venu ce soir pour parler de l'avenir. Pour parler de l'Europe. Le rôle de l'Europe dans un monde de plus en plus dangereux et instable. De l'importance de l'Europe pour la France. De l'importance de la voix de l'Europe au Moyen-Orient, en Afrique, en Ukraine, en Arménie.
Je suis également venu partager ma profonde conviction que nous pouvons construire ensemble une Europe forte, leader mondial dans la transition verte et numérique. Une Europe qui réussit à sortir de ses dépendances pour assurer notre sécurité, notre autonomie et notre prospérité. Une Europe qui répond aux défis et aux difficultés quotidiennes.
Enfin, je suis venu vous dire que l'Europe n'est pas infaillible, et qu'elle a besoin d'évoluer, de se réformer pour ne pas devenir inutile.
Mais je veux aussi te parler, entendre ce que tu attends de votre L'Europe . Nous sommes à moins d’un an des élections européennes et je sais très bien que nous devons faire davantage pour convaincre les citoyens de la valeur ajoutée de notre projet collectif.
Il n'y a pas de meilleur endroit pour mener une telle discussion qu'ici, à la Sorbonne, lieu de connaissance et de réflexion.
Mesdames et Messieurs,
Le monde est confronté à des défis sur plusieurs fronts. Certains de ces fronts se situent aux portes de l’Europe, dans notre voisinage oriental et méridional.
La situation désespérée à Gaza jette une ombre sur toute la région. La réponse à cette situation déterminera l’avenir de cette région et de l’Europe.
Rien ne peut excuser – ni justifier – les viols, les enlèvements, la torture et les meurtres de communautés entières, d’enfants, de femmes, d’hommes et de jeunes. Ces actes horribles ont été perpétrés par une organisation terroriste. Soyons clairs à ce sujet. Le Hamas ne représente pas les aspirations légitimes du peuple palestinien. Ils les gênent.
Le Hamas ne peut pas être autorisé à agir en toute impunité. Les otages enlevés doivent être libérés.
La situation à Gaza est horrible. C'est une crise humanitaire. C’est pourquoi l’Europe a appelé à une pause humanitaire, à une désescalade et au plein respect du droit humanitaire international.
Les civils et les innocents ne doivent pas avoir à payer pour les actions méprisables du Hamas.
Nous devons mettre fin à la terreur, et nous devons être capables de le faire en garantissant la sécurité et la vie des civils, des enfants, des journalistes et sans prendre pour cible les infrastructures civiles.
La réaction d’Israël est importante pour l’Europe.
L'Europe est prête à s'engager sur le long terme, à œuvrer en faveur d'une paix durable au Moyen-Orient. Car l’Europe a appris à surmonter l’insurmontable et a su trouver le chemin de la paix. La France le sait trop bien, elle a été l’un des acteurs majeurs de la réconciliation européenne.
Nous sommes favorables à une solution juste et équitable pour les parties concernées, fondée sur la coexistence de deux États. Nous continuerons à faire avancer ce dossier.
La situation complexe au Moyen-Orient ne peut nous détourner de ce qui se joue autrement sur notre front oriental.
En Europe, beaucoup pensaient que les relations économiques et commerciales avec Moscou, y compris l’importation de gaz russe, étaient des facteurs de stabilité. C'était faux.
La vérité est que rien n’a empêché la Russie d’envahir l’Ukraine de manière brutale, injustifiée et illégale. Et cette guerre qui se déroule sur notre continent nous concerne tous.
Notre soutien à l’Ukraine ne doit en aucun cas faiblir. Contrairement à ce que pense le président Poutine, nous ne laisserons pas la lassitude s’installer. Il en va de la sécurité de l’Europe ainsi que de la sécurité de l’Ukraine.
Dans ce contexte, l’Europe doit répondre à des questions très sérieuses.
Nos démocraties sont-elles suffisamment fortes pour répondre à des menaces totales ?
Notre économie ouverte, notre État de droit, peuvent-ils résister aux attaques ?
La « loi du plus fort » doit-elle régir les relations internationales ?
Ce sont des questions vitales pour l’Europe. Nous n’avons d’autre choix que de défendre notre civilisation avec fermeté et courage.
Nous devons défendre vigoureusement nos valeurs et nos modèles politiques de démocratie libérale.
C’est ce qui s’est produit en Ukraine.
Il n'y a pas d'alternative. Je veux dire, il y en a un… Mais ce serait une erreur morale et politique d’abandonner l’Ukraine. La Russie ne s’arrêtera pas sur cette lancée.
Tout le monde ici connaît cette autre phrase de Winston Churchill, encore, au moment des accords de Munich : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ».
Si aujourd’hui l’Union européenne a choisi de soutenir massivement l’Ukraine, elle veut deux choses : l’honneur et la paix ! Mais une vraie paix basée sur la liberté et l'indépendance de l'Ukraine
Et alors que l’Afrique, notamment subsaharienne, subit une vague de déstabilisation et de prédation sans précédent, il est urgent de sortir de notre posture, au mieux naïve, en réalité condescendante envers ce grand continent.
Je partage votre conviction, chers Gilles et Mathéo, que pour réussir sa transition géopolitique, l'Europe doit sortir de certaines mauvaises habitudes. Il faut arrêter avec une sorte d’arrogance envers l’Afrique.
Il faut penser à l’échelle continentale.
Penser à l’échelle continentale, c’est permettre à l’Europe de pouvoir parler sur un pied d’égalité avec les grands continents.
Pour ce faire, nous devons investir dans nos relations avec les pays d’Amérique latine. Nous devons également donner un nouvel élan à notre partenariat transatlantique historique.
Je le répète sans naïveté, en capitalisant sur nos atouts, en assumant nos intérêts et en défendant nos valeurs, qui sont toutes des composantes essentielles de notre modèle européen.
Chers amis,
L’Europe est également confrontée à des défis à l’intérieur de ses frontières.
Les gens ont du mal à payer leurs factures. L’urgence du réchauffement climatique et de la transition numérique affectent nos économies et nos emplois. Les questions de migration sont également une source de préoccupation.
Face à cela, les Européens ont besoin de réponses. Face à cela, nous devons assurer leur sécurité : sécurité physique, sécurité économique, sécurité sociale et environnementale.
À cette fin, il est temps que l’Europe assume une responsabilité renouvelée. Laissons l’Europe devenir un projet de puissance et d’indépendance.
L’avenir de l’Europe sera défini par notre capacité à rester souveraine et compétitive. Par notre capacité à devenir leader de la transition numérique et climatique. S’éloigner de nos dépendances énergétiques et mettre fin à la domination des grandes entreprises numériques.
C’est pourquoi nous préparons l’avenir en nous engageant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Le Green Deal européen concerne autant notre sécurité énergétique et le renforcement de notre compétitivité que la transition environnementale et climatique.
Cependant, nous devons veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte dans cette transition. Nous devons veiller à ce que nos plus petites industries, nos entreprises et nos citoyens disposent des filets de sécurité nécessaires.
Nous devons également mieux expliquer pourquoi cette transition est nécessaire pour stimuler une croissance économique durable, créer de nouveaux emplois et mener la révolution industrielle de demain.
Aucune de nos politiques ne fonctionnera sans acceptabilité sociale et si les mesures mises en œuvre ne sont ni réalistes ni pragmatiques.
Le numérique est aussi un défi qui nous attend encore.
Avec les lois sur les marchés et services numériques et sur l’intelligence artificielle, l’Europe a déjà pris les devants en établissant des normes appelées à devenir mondiales. Ce pouvoir normatif est le garant de notre indépendance.
La migration préoccupe également les Européens.
Nous avons trop souvent assisté à des querelles entre gouvernements nationaux à propos de l’accueil des bateaux de fortune en Méditerranée.
Aucun État membre ne devrait être laissé seul pour assumer une responsabilité disproportionnée. Tous les États membres doivent être unis face aux défis migratoires.
Nous ne pouvons pas laisser cette question entre les mains de forces populistes qui se réjouissent de notre inefficacité, sans apporter de solutions réalistes à un problème complexe.
Entre Européens également, nous travaillons sur un cadre juridique qui sera équitable envers ceux qui ont besoin de protection. Un cadre juridique qui sera ferme avec les non-éligibles à l’asile. Enfin, un cadre juridique qui sera dur envers les passeurs qui profitent de la pauvreté des plus vulnérables.
Nous le devons à nos concitoyens, nous le devons aussi à ceux qui risquent leur vie sur le chemin de la migration. Car derrière les chiffres, il y a toujours des vies humaines, des histoires parfois tragiques, et l’espoir d’une vie meilleure.
Après une décennie d’efforts, nous sommes enfin prêts à sortir de l’impasse.
Mesdames et Messieurs,
Un autre défi que je voudrais aborder est celui de la guerre de l’information, ou plutôt devrais-je dire de la désinformation.
La désinformation, qui touche nos démocraties et sociétés libérales depuis le tournant des années 2000 avec le développement d’internet et des réseaux sociaux.
La désinformation est aussi vieille que le monde. Les outils technologiques de l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux lui donnent une portée inédite.
Et c'est un danger absolu.
Ce danger est d’autant plus grand qu’il est amplifié par des États comme la Russie et l’Iran, qui ne sont que des modèles de vertu démocratique et jouent un joli jeu de souffler sur les braises de la polarisation de nos scènes politiques.
L’objectif est le même : dénigrer les démocraties. La méthode est constante : semer le doute.
Plus que jamais, nous devons prendre les mesures nécessaires et nous armer pour lutter contre cette offensive.
Oui, le monde est de plus en plus dangereux. Oui, l’Europe est confrontée à de grands défis.
Mais il faut tenir le coup. Accrochez-vous pour construire et défendre la paix et la liberté. Nous n'avons pas le droit d'oublier ce que nous sommes et ce que nous voulons. Pour nous-mêmes, pour nos enfants et pour l’Europe.
Je fais partie d’une génération qui était enfant lorsque le mur de Berlin est tombé, lorsqu’un peuple est apparu sur la place Tiananmen… Une génération qui s’est souvenue de l’effondrement de l’Union soviétique et de la joie débridée de millions d’Européens enfin libres de choisir leur destin. Nous avons vécu cette victoire.
Mais au fil du temps, nous sommes devenus trop assurés du caractère solide et évident de cette liberté. Les mouvements extrêmes sont aux portes du pouvoir et là-bas en Europe. Voire même d'y participer.
Et c’est pourquoi nous devons sérieusement repenser et réformer l’Europe. L’histoire de l’intégration européenne nous a montré que c’est à travers les crises que nous assumons nos responsabilités, que l’Europe avance, se transforme, évolue et se renforce.
Et même si cela peut sembler lointain, voire inquiétant, pour nombre de nos citoyens, nous devons aborder la question de l’élargissement dans son ensemble.
Le monde ne nous attend pas. Si nous osons le changement, notre projet collectif stagnera et perdra de sa pertinence. Nous devons nous adapter à la nouvelle réalité géopolitique que j'ai déjà évoquée. Si nous ne répondons pas à l’appel de nos voisins, d’autres acteurs géopolitiques le feront et combleront le vide à nos frontières.
Nous avions les mêmes craintes avant l’élargissement de 2004. Pourtant, l'histoire nous a montré qu'une Union européenne élargie, fondée sur des objectifs clairs, sert à défendre la paix, la sécurité, la stabilité et la prospérité de l'Europe sur la scène internationale.
Tous les États membres et Européens y gagnent.
C’est pourquoi nous nous sommes battus pour que l’Ukraine et la Moldavie obtiennent le statut de pays candidat à l’UE. C’est pourquoi nous pensons que les négociations avec les Balkans occidentaux doivent progresser.
Parce que l’espoir d’une adhésion donne à ces pays une perspective européenne et leur donne une impulsion pour promouvoir des réformes démocratiques.
Cependant, une telle perspective ne peut se réaliser sans des réformes institutionnelles de notre projet politique. Une Union de trente, trente-trois ou trente-cinq ne pourra pas fonctionner selon les mêmes règles qu'une Union de vingt-sept.
Il est essentiel de réformer notre structure et nos procédures institutionnelles et de réformer notre budget européen. L'adaptation de nos politiques structurelles vise tout autant à correspondre aux pays candidats bien avant leur adhésion, mais aussi à permettre à l'Union de les intégrer.
C’est l’un des défis majeurs qui nous attendent.
Malgré ce que je viens de dire, je suis de nature optimiste. Je suis convaincu que si nous parvenons à établir une Union élargie, ambitieuse, unie et cohérente ; une Union efficace qui ne laisse personne de côté et qui répond aux préoccupations concrètes de nos concitoyens tout en gardant sa place dans le monde, elle sera alors notre meilleure réponse au populisme et à l’extrémisme.
Mesdames et Messieurs,
A l’approche des élections européennes de juin, il est plus que jamais important de réfléchir ensemble au rôle que joue l’Europe, et surtout au rôle que nous voulons lui donner…
Je suis le plus jeune président de l'histoire du Parlement européen. Je ne suis que la troisième femme à occuper ce poste, après Simone Veil et Nicole Fontaine. Et si j'ai pu me tenir ici devant vous, c'est grâce aux combats que ces deux admirables femmes ont menés.
Je comprends ma responsabilité envers elles, envers toutes les femmes qui viendront après moi, envers notre projet européen.
Et c'est pourquoi, à ce moment critique de notre histoire, je veux appeler tous les Français et toutes les Françaises à s'engager.
Si vous pensez que la direction que prend notre projet commun n’est pas la bonne ou au contraire si vous souhaitez l’approfondir, alors engagez-vous ! Il est de votre responsabilité de le changer.
N'attendez pas que quelqu'un d'autre le fasse à votre place. Alors allez voter, trouvez votre voix, trouvez une cause et battez-vous pour elle.
Croyez en l'Europe. L’Europe mérite d’être défendue et nous avons tous un rôle à jouer à cet égard.
Un dernier mot, chers amis,
Je sais combien les Français aiment citer des hommes illustres de leur passé. Alors, comment conclure mon discours sans évoquer celui qui a donné son nom à ce bel amphithéâtre et qui repose non loin d'ici.
Le cardinal Richelieu a dit un jour : « Il faut beaucoup écouter et peu parler pour bien faire… ».
J'ai peut-être trop parlé, mais je suis prêt à écouter maintenant.
Thank you.
"Traduction de courtoisie – version originale en français disponible ici" .