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Lundi, Mars 24, 2025
Le choix des éditeursFrance 2 : caméras cachées, déontologie journalistique et télévision d'État

France 2 : caméras cachées, déontologie journalistique et télévision d'État

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Jan Léonid Bornstein
Jan Léonid Bornstein
Jan Leonid Bornstein est journaliste d'investigation pour The European Times. Il enquête et écrit sur l'extrémisme depuis le début de notre publication. Son travail a mis en lumière une variété de groupes et d'activités extrémistes. C'est un journaliste déterminé qui s'attaque à des sujets dangereux ou controversés. Son travail a eu un impact réel en exposant des situations avec une pensée hors des sentiers battus.
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La déontologie journalistique est un sujet délicat. Il existe une telle nécessité de protéger la presse contre des ingérences diverses, et de préserver sa liberté que bien souvent, toute critique contre un journaliste ou un service de presse est perçue comme une tentative de museler sa parole. Et c’est souvent le cas. Les lois qui protègent la liberté des journalistes sont nécessaires. Mais quid des dérapages déontologiques ? Faudrait-il s’abstenir de les critiquer pour éviter d’affaiblir la profession, déjà trop souvent décriée ?

Bien au contraire. Le respect des règles déontologiques est la meilleure protection que les journalistes peuvent s’offrir. A chaque fois que l’un d’entre nous viole une règle déontologique, c’est toute la profession qui est affaiblie.

France 2 : l’œil du vingt heures

En France, il existe une chaine nationale de télévision de service public (c’est à dire qui appartient à l’État) nommée France 2. Tous les soirs de la semaine on peut y voir le journal de 20 heures, qui diffuse les nouvelles du jour, et divers reportages. Au sein de ce journal, des reportages sont diffusés sous le titre « L’œil du 20h», qui se présente comme un programme « d’enquêtes posant un regard décalé sur l’actualité ». Ce sont deux reportages de l’œil du 20h qui ont éveillé mon attention ces derniers mois, pas vraiment pour les thèmes choisis, mais plutôt pour l’emploi immodéré de techniques qui peuvent interpeler au regard de la déontologie.

Le premier, diffusé le 20 novembre 2023, s’intitule « Enquête : qui sont les nouveaux militants du climat », sous-titré « ces écologistes qui se radicalisent ». Le second, plus récent, diffusé le 26 juin 2024, s’intitule « En infiltration au sein de la scientologie ». Si les deux cibles de ces reportages, les militants écologistes et les scientologues, ne semblent pas avoir grand-chose en commun (quoi qu’on puisse imaginer qu’il existe des écologistes scientologues et vice-versa), ils partagent tout de même une caractéristique pertinente pour notre article : en France, les deux sont en butte à une certaine hostilité de la part d’une frange du gouvernement actuel.

Caméras cachées, fausses identités et déontologie

Les deux reportages ont en commun l’emploi de techniques qui sont, sauf exceptions, interdites par les codes de déontologie journalistique en vigueur dans le monde. Ces codes sont divers et il en existe beaucoup (chaque service de presse a aussi bien souvent son propre code de déontologie), mais un petit nombre fait consensus dans la profession en Europe : La Charte de Munich, signée le 24 novembre 1971 et adoptée par la Fédération européenne des journalistes, et la Charte d'éthique professionnelle des journalistes, rédigée en 1918 et modifiée en 2011. Au niveau international, le principal code est la Charte d’éthique mondiale des journalistes de la Fédération internationale des journalistes, adoptée en 2019 à Tunis.

Les techniques dont il sera question ici sont principalement l’emploi de caméras cachées et l’enquête sous une fausse identité, en taisant sa qualité de journaliste. Sur ces points, la Charte d'éthique professionnelle des journalistes est sévère : elle interdit l’emploi de moyens déloyaux pour obtenir une information, et seules la sécurité du journaliste ou celle de ses sources, ou la gravité des faits, peuvent justifier le fait de taire sa qualité de journaliste, auquel cas une explication doit être donnée au public. La Charte de Munich est encore plus stricte, elle interdit simplement d’user « de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents ». Enfin, la charte d’éthique mondiale de Tunis ouvre le champs des possibles en indiquant « Le/la journaliste n’utilisera pas de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des images, des documents et des données. Il/elle fera toujours état de sa qualité de journaliste et s’interdira de recourir à des enregistrements cachés d’images et de sons, sauf si le recueil d’informations d’intérêt général s’avère manifestement impossible pour lui/elle en pareil cas. »

Haro sur les militants écologistes

Caméra cachée France 2 France 2 : Caméras cachées, déontologie journalistique et télévision d'État
Réunion de « Dernière Rénovation » filmée sous couverture avec une caméra cachée

Dans le premier reportage sur les militants écologistes, la journaliste Lorraine Poupon s’est attaquée, sans les nommer mais ils sont aisément reconnaissables, aux mouvements écologistes Extinction Rébellion et Dernière Rénovation. Le reportage commence par « le ministre de l’Intérieur les désigne comme une nouvelle menace », puis un extrait d’un discours du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin : « Cela relève de l’écoterrorisme. » Le ton est donné. Puis la journaliste indique qu’elle a infiltré (intégré) l’une de ces organisations. S’en suit une séquence où la journaliste infiltrée filme en caméra cachée une réunion du mouvement Dernière Rénovation, au cours de laquelle on voit intervenir une personne décrite comme « une jeune femme condamnée à deux mois de prison avec sursis pour vandalisme » (celle qu’on pourrait penser être une délinquante violente n’avait en fait que jeté de la peinture sur un bâtiment du ministère de l’Intérieur, ce que le reportage oublie de préciser).

Puis une deuxième infiltration, cette fois dans une réunion organisée par Extinction Rébellion à Marseille, qui sera effectuée à nouveau avec une caméra cachée. On y traite de désobéissance civile non violente. Lorsqu’une conférencière explique que la consigne en cas d’arrestation est de répondre « je n’ai rien à déclarer », une consigne bien souvent répétée par les avocats pénalistes à tous leurs clients, la journaliste commente : « Les formateurs évoquent clairement leur défiance à l’égard des policiers ». Si la liberté éditoriale de la journaliste lui permet de faire ce genre de commentaires, la question est plus délicate lorsque c’est une chaine du service public qui relaye de cette manière le discours du ministère de l’Intérieur sur un mouvement qui pourrait être qualifié de politique, alors que la neutralité du service est la règle. Mais surtout, quid de l’emploi de la caméra cachée et de la dissimulation de la qualité de journaliste ?

Des réunions publiques, donc une information facilement accessible

La réunion de Marseille organisée par Extinction Rébellion était une réunion publique. Il n’y avait donc pas de nécessité de « s’infiltrer » pour obtenir des informations sur ce qui s’y disait. La réunion de Dernière Rénovation était elle aussi organisée au grand jour à l’Académie du Climat, au sein de la mairie de Paris. Là encore, aucune nécessité de venir tourner en caméra cachée. Le recueil d’informations était aisé, sans avoir besoin de recourir à des techniques déloyales. Quant à la sécurité ou « la gravité des faits », on ne voit pas en quoi la sécurité de la journaliste aurait pu être mise à mal, et on cherche encore des faits graves que la journaliste aurait voulu couvrir. Le reportage n’en fait pas état, et « la désobéissance civile », qui peut parfois confiner à l’illégalité, est de toute façon librement expliquée sur les sites des mouvements concernés.

Contactée à l'occasion de cet article, Eva Morel, co-présidente de Quota Climat, une organisation qui cherche à « faire entrer l’urgence écologique dans l’agenda médiatique », nous dit que « au-delà des caméras, c'est un ensemble de séquences caricaturales qui posent problème dans ce reportage : : applaudissements envers une militante écologiste qui sort de garde à vue à l’Académie du Climat sans évoquer le reste des activités purement pacifiques et légales qui s’y déroulent, musique énigmatique invitant à penser que ce lieu recèle de manigances alors que tout le monde y a accès, etc. "

Nicolas Turcev, journaliste et responsable des relations presse de Dernière Rénovation, dit ne pas avoir été contacté par France 2, alors que la rédaction connaît ses coordonnées. Contacté, il nous renvoie à l'interview qu'il a accordée pour Arrêt Sur Image : "L'extrait capté, ce sont des propos qu'on assume par ailleurs, et qu'on peut dire à n'importe quel journaliste sur un plateau à visage découvert. Il y a un recours au dispositif juste pour donner une tonalité anxiogène au reportage, qui n'en avait pas besoin puisqu'on est disponibles et qu'on parle à visage découvert. » . On a recours à ces méthodes juste pour donner un ton anxiogène au rapport, qui n'en avait pas besoin puisque nous sommes disponibles et parlons à visage découvert..» Il ajoute que le "Les visages flous empêchent le spectateur de s'identifier" avec les écologistes filmés, qui sont ensuite « à peine humanisés, même s’il s’agit de personnes avec un engagement politique et civique très réfléchi ».

Des silences troublants

Loris Guémart, journaliste à Arrêt sur Image, rappelle que le reportage avait passé sous silence l'arrêt du Conseil d’État qui a annulé la décision du ministre de l’Intérieur de dissoudre l’association écologiste Les Soulèvements de la Terre. Cette décision avait été prononcée une dizaine de jours avant la diffusion du reportage, et certains ont vu dans le reportage une vengeance du ministère qui n’avait pas appréciée la décision du Conseil d’État. Il explique qu’il aurait été pertinent de ne pas faire l’impasse sur le fait que la juridiction suprême avait estimé que les Soulèvements de la Terre n'incitaient pas, ni explicitement ni implicitement, « à des agissements violents de nature à troubler gravement l'ordre public ». Une journaliste en service commandé pour un ministère, dans une opération vengeance ?

Par ailleurs, alors que la journaliste de l’Œil du 20h aurait dû donner une « explication au public » sur les raisons de l’emploi de telles techniques déloyales, non seulement elle s’en abstient, mais elle omet aussi d’expliquer pourquoi elle n’a pas tout simplement demandé aux représentants de ces mouvements de s’exprimer face caméra. Pour Eva Morel, « la majorité des portes parole de ces organisations sont en effet publics voire médiatiques et donc il semble bizarre qu’ils n’aient pas pris la parole ».</em>

Infiltration, dissimulation et caméra cachée dans une église de scientologie

Le second reportage indique clairement la couleur dès le titre : « Infiltration au sein de la scientologie ». A Paris, l’Église de scientologie a récemment inauguré son nouveau siège à quelques pas du Stade de France où vont se dérouler les Jeux Olympiques. Voici qui a fait les gros titres et a certainement piqué la curiosité de l’Œil du 20h.

inauguration de l'église de scientologie à paris France 2 : Caméras cachées, éthique journalistique et télévision d'État
Inauguration de l'église de Scientology à Paris, avril 2024

Mais on cherche en vain les raisons qui ont pu pousser la journaliste à user d’artifices pour aller chercher ses informations. Tout d’abord, la sécurité… Quoi qu’on puisse penser de l’Église de scientologie, on imagine mal les scientologues décider de tabasser une journaliste venue les interviewer. D’ailleurs, on trouve de nombreux exemples de rencontres entre les journalistes et les scientologues sur Internet ces derniers temps, et politesse, courtoisie et bienséance sont de mise.

Gravité des faits ? Eh bien, là encore, difficile de trouver dans le reportage la preuve d’aucun fait grave. Le plus grave pour la journaliste semble être que « le discours tenu à des personnes en souffrance peut surprendre ». Elle en veut pour preuve que « être suivi par un psychiatre ou prendre un traitement antidépresseur ne serait pas une prise en charge adaptée, selon ce bénévole du centre ». Pourtant, le « bénévole » en question, flouté, répond que « C'est juste le contraire de ce qu’on fait. Si la personne décide de faire de la psychiatrie, c'est son choix. » Il ajoute que c’est juste « totalement incompatible » avec la scientologie. On est loin d’un quelconque discours subversif… A part ça, rien de factuel. Notre infiltrée semble bien reçue, on prend soin d’elle, elle repartira libre et en bon état.

Une demande de tournage post-infiltration – mensonge à l’écran

Mais dès le début du reportage une explication est donnée : « Pour pénétrer à l'intérieur, nous avons fait une demande de tournage officielle qui nous a été refusée ». Donc, « pour passer les portes de ce centre, je me suis infiltrée en caméra cachée pendant plusieurs semaines. Je me présente comme une trentenaire sans emploi à la recherche de sens dans sa vie ». On en déduit donc que se voyant refuser une autorisation de tournage au sein du bâtiment, notre journaliste s’est dit qu’elle n’avait pas d’autre moyens pour rapporter des images que d’entrer par dissimulation et tourner à l’insu des scientologues. C’est déontologiquement problématique à plus d’un titre. Tout d’abord, le droit de filmer à l’intérieur d’un bâtiment privé n’est pas un droit absolu pour les journalistes. Comme tout le monde, ils doivent obtenir une autorisation, et le fait que cette autorisation soit refusée ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres moyens d’obtenir les informations que d’utiliser des moyens déloyaux tels que la dissimulation de la qualité de journaliste et la caméra cachée. Là encore, quid d’avoir demandé une interview des porte-paroles, ou de scientologues ? Ou tout simplement d’avoir visité les divers sites web de l’église de scientologie, sur lesquels en fait n’importe qui peut trouver les informations qui sont diffusées dans le reportage ? (Je n’ai pas trouvé une seule information dans le reportage que je n’ai pas aussi réussi à retrouver aisément sur le web.)

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La journaliste française Lorraine Poupon se filme dans l'église de Scientology avec une caméra cachée

Mais plus encore, contactée par nos soins, l’Église de scientologie nous a répondu : « C’est un mensonge pathétique. La “demande de tournage” a été envoyée le 13 juin par une autre journaliste, mais Lorraine Poupon avait commencé son infiltration dès le 6 juin. Elle se moquait donc éperdument de notre réponse. Par ailleurs, nous nous sommes contentés de dire que nous n’organisions pas de visites pour les journalistes pour l’instant, mais aucune demande d’interview face caméra n’a été formulée par la suite. »

Prudence, déontologie journalistique et médias sociaux

Il existe certainement plusieurs autres violations de déontologie dans ces deux reportages, mais nous n’en retiendrons qu’une supplémentaire ici. La Charte d’éthique mondiale des journalistes exige que le journaliste soit « prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux ». La raison pour cette règle est mentionnée ici est parce que c’est souvent sur les réseaux sociaux que l’on peut voir clairement si le journaliste opère avec une intention purement informative où s’il suit un autre agenda.

Dans le cas du premier reportage, Lorraine Poupon postera sur son compte X (ex-Twitter), une présentation de son rapport conforme à la description du ministère de l'Intérieur : « On a beaucoup parlé d'écoterroristes, de Khmers verts ou encore d'hydrofurieux. » Les militants pour le climat n’ont naturellement pas apprécié cela. L’utilisation d’un vocabulaire scandaleux amalgamant activisme environnemental et terrorisme est définitivement peu judicieuse et constitue à tout le moins un « manque de prudence » dans l’utilisation des médias sociaux. Elle révèle cependant l'état d'esprit du journaliste, et donc le manque de neutralité politique de la part du France 2, qui a diffusé le reportage.

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France 2 : Caméras cachées, déontologie journalistique et télévision d'État 7

Pour les scientologues, on trouve sur le compte LinkedIn de la journaliste une présentation qui inclut « Une fois les portes passées, j'y ai découvert qu'on m'a (très) vite fait sortir la carte bleue pour me faire acheter toujours plus de cours et de séminaires ». Puis sur X, « On nous y promet la “liberté totale”, mais à quel prix ? (A priori plusieurs milliers d’euros car en scientologie, tout est payant et tout coûte cher !) ». Contactée, l’Église de Scientologie nous a répondu, documents comptables à l’appui : « Lorraine Poupon, sous son nom d’emprunt, a dépensé chez nous en tout et pour tout 131 euros en deux semaines. Cela comprend 4 livres, un séminaire qu’elle a suivi et un cours qu’elle a suivi aussi. » On est loin des milliers d’euros et si cela pose un problème d’exactitude et de vérité, cela indique aussi une volonté de créer une vision polémique et controversée du mouvement, en l’absence d’éléments probants.

On découvre aussi sur son compte Facebook que la journaliste est membre d’un groupe privé intitulé « Tous unis contre la scientologie », ce qui là encore, tend à accréditer l’idée que l’émission avait pour but de diaboliser la scientologie, plutôt que d’informer honnêtement.

Nous avons bien entendu contacté Lorraine Poupon pour avoir son opinion sur ces reportages et les critiques qu’ils ont générés, mais malheureusement elle n’a pas répondu à nos sollicitations.

NDLR : Après avoir rédigé cet article, nous avons appris que L'Oeil du 20h avait déjà été jugé en violation des codes de déontologie par le Conseil français de déontologie des journalistes et de la médiation en 2023 : https://rebelles-lemag.com/2023/05/14/ecoles-steiner-cdjm-france2/

The European Times

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