La loi destinée à lutter contre l'islamisme politique en France ne devrait pas viser la religion
La recrudescence des attentats d'islamistes radicaux en France, qui abrite la plus grande population musulmane d'Europe, a ravivé de vifs débats sur l'islam, la laïcité et la discrimination. Les déplorables assassinats en octobre 2020 de Samuel Paty, un enseignant, et de trois catholiques dans la basilique de Nice ont accéléré la volonté politique des autorités d'adopter une loi destinée à s'attaquer à certaines des causes profondes du terrorisme islamiste.
Le projet de loi annoncé en octobre par le président de la République et le ministre de l'Intérieur était souvent intitulé « loi sur les séparatismes », au pluriel, alors qu'il est parfois au singulier. Ce n'était pas une erreur, une inexactitude ou une hésitation sur l'orthographe ou la grammaire. Elle reflète l'incertitude actuelle quant à savoir s'il faut prendre le risque d'identifier le problème comme religieux et de cibler exclusivement une religion : l'Islam.
Selon les autorités françaises, un groupe spécifique de musulmans se séparerait de la majorité historique de la société et de ses valeurs de manière dangereuse, par exemple en rejetant des vérités scientifiques telles que la théorie de l'évolution ou en contestant l'Holocauste.
Pour éviter l'accusation d'islamophobie et les préoccupations concernant la discrimination religieuse, le gouvernement a prévu d'inclure d'autres groupes religieux, en particulier ceux étiquetés "sectes », de les instrumentaliser comme alibi de sa bonne foi. Pendant tout ce temps, les autorités continueraient d'ignorer certaines communautés juives très fermées. Le défaut inhérent à cette approche est que la menace à la sécurité est considérée comme étant de nature religieuse, ce qui n'est pas le cas.
Il y a quelques jours, les autorités françaises ont rendu public le projet de loi et son nouveau titre. Il a entièrement changé et est maintenant le « projet de loi renforçant les principes républicains ». Sa portée est beaucoup plus large que ce qui avait été annoncé, mais il vise toujours le séparatisme. Le Conseil d'État a entamé son examen.
La source du problème que la France tente de résoudre est une idéologie politique : l'islamisme radical. Ce n'est pas l'Islam.
L'objectif de l'islamisme radical est d'imposer une gouvernance théocratique dans les esprits musulmans, qu'ils soient ou non dans les pays à majorité musulmane. Ceci est accompli en instillant son idéologie dans les familles, les parents et les enfants musulmans, avant même l'éducation scolaire.
L'ennemi à combattre n'est pas une religion ou certaines religions et leurs disciples, mais un projet politique. Si les autorités françaises persistent à pointer du doigt toute une communauté religieuse comme une menace, elles faciliteront d'autant le travail de l'islamisme radical.
Par conséquent, la loi ne devrait pas viser l'islam en tant que religion, mais devrait plutôt s'attaquer à l'islamisme politique, en particulier au salafisme et à ses organisations telles que les Frères musulmans et ses associations satellites.
Conformément à cet objectif, une cinquantaine de mosquées suspectes ont été fermées depuis la nomination de Gérald Darmanin au poste de ministre de l'Intérieur en juillet 50. Cependant, fermer les mosquées "suspectes" n'est pas une solution et est de fait contre-productif. Une telle mesure restrictive met en colère les musulmans qui sont privés de leur droit au culte collectif, ce qui est une violation des normes internationales sur la liberté de religion ou de conviction. Ce ne sont pas les « mosquées » qui diffusent les idées extrémistes, mais plutôt les individus occupant des postes de direction dans certaines mosquées qui instrumentalisent les enseignements religieux à des fins politiques. Certains imams et prédicateurs, identifiés depuis très longtemps par les autorités, se comportent comme des militants politiques au lieu d'assurer l'édification de leurs communautés. Le projet de loi doit les combattre, pas la communauté religieuse à laquelle ils appartiennent.
Le projet de loi situe la lutte contre l'islamisme radical au niveau religieux alors qu'elle ne devrait être menée qu'au niveau idéologique et politique. D'autres communautés religieuses ou spirituelles et d'autres catégories de croyants n'ont rien à voir avec cet activisme militant politique et ne doivent pas être visées.
Le projet du gouvernement français est de présenter le projet de loi au Conseil des ministres après qu'il aura été finalisé sur la base des remarques du Conseil d'Etat. Le choix de la date du 9 décembre 2020 coïncidera avec l'anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 qui réglemente les relations entre l'État et les cultes en France.
Toutes les religions doivent se sentir concernées par cette loi. En effet, plusieurs concepts vagues dans le projet de loi tels que « comportements menaçant la dignité humaine » et « pressions psychologiques » peuvent ouvrir la porte à de nombreux abus dans l'application de la loi sur d'autres groupes religieux également.
De plus, un article de cette loi prévoit que si un membre d'un groupe est considéré comme ayant agi en violation d'un point de la loi, il permettra l'interdiction de l'ensemble de l'association par le Conseil des ministres.
Il faut espérer que le Conseil d'État gardera à l'esprit les lignes directrices de l'OSCE/BIDDH sur la liberté de religion ou de conviction et les recommandations de la Commission de Venise et contestera ces dispositions contestables.
-
Photo par Shin chanté on Unsplash